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Maison...

Maison...

 

Bruxelles. Avril 2018.

Il était une fois, dans l’ouest de la capitale belge, trois hommes désireux de se rapprocher de l’hôtel où ils doivent passer la nuit.

 

Il n’y a pas de couffin dans l’histoire, et les trois gars en question ne sont pas en colère. Je ne dis pas ça parce qu’ils sont quatre fois moins nombreux que ceux auxquels nous pourrions penser, mais au seul motif que les heures qui viennent de s’écouler étaient des plus délicieuses. Pourquoi ?

 

Bah, on n’a pas besoin de raison quand on a l’héroïne ! Et notre fix nous l’avions eu en nous délectant de l’exposition Eyes Wild Open au Botanique. Quand François m’a parlé quelques semaines plus tôt de ce voyage loin du bout de l’enfer, ce fut comme une offre que je ne pouvais refuser. Croyez moi, il n’y a pas eu 7 ans de réflexion de ma part ! Ni regret aujourd’hui !

 

Mais comme la vie n’est pas un long fleuve tranquille, nous voilà dans le subway bruxellois, un peu perdus… Mes deux compères prennent les choses en main, bien décidés à se libérer de ce piège... De cristal, non, mais de marbre sans aucun doute, Renaud s’approche de la carte du métro qui ressemble plus à un labyrinthe qu’au dessin de notre grande évasion.

 

Mes deux amis analysent la situation et discutent de la meilleure façon de rentrer. De mon côté, n’étant plus à un délire près dans cette histoire aux allures de quatrième dimension, je me demande à quoi ressemble Marsellus Wallace…

 

Et voilà qu’ils repèrent la Grand Place...

Et l’un d’entre eux la pointe du doigt...

Et je mets mon oeil dans le viseur…

Et probablement qu’en voyant la scène, les mêmes mots feraient écho à tous ceux de ma génération :

"E.T. Téléphone Maison… »

E.t. bien-sûr, je shoote ! 



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Dans le...

Dans le...

 

Arles. Juillet 2018.

06h00 du matin... Et ce gamin qui gueule comme si on l’écorchait vif. Si seulement ça pouvait être vrai... Nous nous sommes couchés tard, très tard. Pour travailler... Ou un truc comme ça... J’essaie de me rendormir... Mais il recommence... Je me lève. Je vais le pourrir… Lui dire que le Père Noël n’existe pas… Que si la mère de Bambi est morte, c’est parce qu’il criait trop fort… Et qu’à cause de ça… On va le placer ! Mais je me débalonne… Ou j’ai mûri peut-être… Toujours est-il que je reste là, les yeux grands ouverts. Plus envie de me recoucher. Je crois que pour la grasse matinée, je l’ai dans le Bambi… Heuuuu le baba, pardon.

 

Midi… « - Une pinte de Leffe s’il vous plait ! 

- Je n’ai que de la blanche et… 

- C’est une plaisanterie ? Vous en aviez hier ? Vous en avez toujours ! 

- C’est vrai Monsieur, mais on a été dévalisé et… » 

‘Tain !!! J’aurais dû la prendre à la Place malgré le monde qu’il y avait. Mauvais calcul… Je sens que ça va être une journée à toujours l’avoir quelque part. Et là en l’occurence, j’ai soif. Je vais donc rester ici et me contenter de ce qu’il y a, avec cette sensation de l’avoir dans l’os.

 

Début de soirée... Le rire aux lèvres, nous voilà partis, pour quelques heures qui s’annoncent des plus sympathiques. Nous avons faim. Nous suivons Mario qui a réservé dans un petit resto qu’il connait bien, un petit resto « dont vous m’en direz des nouvelles », un petit resto qui… Ben qui n’a pas pris sa résa… Négociations, excuses, réflexions du patron sur les possibilités de nous installer plus loin, plus tard, constat partagé que les solutions ne sont pas satisfaisantes… Bref, on va voir ailleurs, on l’a dans l’oignon.

 

Plus tard, bien plus tard… Nous retournons vers cette bodega qui nous a refusé 2h30 auparavant faute de place et qui nous a demandé de revenir une fois l’heure de pointe passée… Je crois que j’ai sorti mon appareil à ce moment-là histoire de me détendre. Je ne raconterai pas ce moment difficile où, pour patienter, nous sommes allés boire un coup dans cet estaminet près des arènes… Cet endroit où il n’y avait pas de whisky… Ni celui dont je rêvais, ni un autre… Non, je passe là-dessus car je voudrais finir avec le sourire et, en outre, à force de l’avoir partout, je vais finir par manquer de synonymes…

 

Nuit (je suis dans le sud, je suis en droit d’exagérer, notamment quand j’ai les crocs !)… Nous nous dirigeons donc activement vers ce paradis des affamés. Et finalement, tout ça m’amuse. Je passe un bon moment avec François, Anne-So, Karen, Marjo and Co. Je ramène quelques souvenirs. Une photo par-ci, une autre par-là. « Hoooo touriste ! Tu t’arrêtes une seconde avec ton flash ! ». Les copains m’envoient balader gentiment mais je sais qu'ils adorent ça et qu’ils meurent d’envie de faire pareil. « En parlant de s’arrêter, ça vous dit une petite pause pour un portrait de groupe ». Réponse négative unanimement muette mais très claire. Héhéhé ! Cette fois, j’ai bien l’intention de l’avoir dans cet endroit sombre, intime et inaccessible sans mon autorisation… Oui, j’ai bien l’intention de l’avoir dans le… Boitier ! Je shoote !



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Heureux qui comme Ulysse

Heureux qui comme Ulysse

 

Paris. Décembre 2018.

Je ferme douuuuucement la porte d’entrée. Il est tard. Très tard. J’ai trainé pour rentrer. Je suis descendu quelques stations avant Alesia pour m’offrir une Odyssée pédestre et photographique dans la nuit de cet hiver trop doux.

 

Deux tours de clef pour marquer la fin du périple. Comme à mon habitude, sans prendre la peine de ranger mon appareil photo, je fais le tour de la maisonnée, pour le plaisir de savoir ma petite famille au chaud et dans les bras de Morphée.

 

Ugo s’est écroulé sur sa nana... Heuuuu, je veux dire son smartphone, ce qui revient à peu près au même.

 

J’entends Noé parler dans son sommeil. « Envoie les billes en fer, Emmanuel, et on pourra aller au ciné ». Mmmmmmh... Je crois qu’il est vain de mettre un sens à ce monologue tout droit sorti d’un rêve d’ado.

 

Dans la chambre des petits, Elia dort, cachée sous les couvertures avec, pour ne pas changer, sa jambe frêle et pâle en dehors du lit. Je couvre délicatement le membre égaré et regarde en direction de la mezzanine de Cor... Tiens ! Les volets ne sont pas fermés.

 

Sans faire de bruit, j’ouvre la fenêtre et tire les panneaux métalliques pour plonger la pièce dans le noir complet. Je fais demi-tour pour... « Haaaaaaaaaaaa ! »

 

« Bordel, Corto, tu m’a fait flipper ! »... Le môme est là, immobile et droit comme un I. Il me dévisage sans mot dire...

 

« Corto ? »... Silence...

 

« Hey bonhomme, ça va ? »... Pas de réponse...

 

« T’essaies de m’impressionner ? »... Je ne sais pas si c’est le cas, mais le résultat est là... J’ai comme la sensation d’être un animal traqué, pris au piège au fond de la grotte d’un monstre sanguinaire prêt à me dévorer. Bon ok, s’il veut faire de moi son goûter nocturne, la créature étant épaisse comme un baton de Chupa Chups, devrait être rassasiée juste après avoir avalé mon petit doigt.

 

« Cooooorto ! »... Merde ! En lieu et place de réveiller le somnambule, je le fais s’approcher de moi. Nos regards ne se quittent pas...

 

Il est tout près... Je l’entends respirer...

 

« C’est bon Lamie, tu as gagné, je suis à ta merci ! Héhéhé ! » Je crois bien que ce mauvais jeu de mot ne fait rire que moi...

 

Il se penche... Un petit rictus lui donne un air quelque peu inquiétant... Une partie de son corps plonge dans l’obscurité et... Ça me fait sourire !

 

Il n’a plus qu’un œil et dans mon délire tardif, je vois le descendant du cyclope me faisant savoir que le chemin vers ma chambre va être long et périlleux ! Pas de pieu à portée de main mais ça tombe bien, je ne suis pas de nature violente.

 

Par contre, j’ai mon boîtier. Je profite de son état statufié pour cadrer et faire quelques réglages. Je remercie Corto car je suis heureux... Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage au pays des contes mythologiques et fantasmagoriques qui ont bercé mon enfance quand petit, l’heure d’aller dormir avait sonné. Je shoote !



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Flirter avec la mort

Flirter avec la mort

 

Paris. Mai 2018.

Avec un peu de bol, ils sont tous partis...

Je tire la chaîne de ma Lip. Les aiguilles indiquent que nous approchons 1h du matin. Cette vieille montre à gousset n’a pas été révisée depuis longtemps. Il est difficile de compter sur l’exactitude de l’heure qu’elle délivre mais j’ai tout de même bon espoir : un soir en semaine avec la journée d’école qui commence bientôt, les enfants de 8, 11 et 15 ans, mais également leur mère qui est exténuée depuis quelques jours et Ugo qui l’est tout autant après sa soirée de sport, tous sans exception ont dû décider de déserter la chaleur du foyer familial pour ne revenir qu’au petit matin. Je souris, je vais pouvoir profiter de ce moment de solitude dont je me délecte à chaque fois !

J’ouvre la porte fermée à double tour et entre chez moi. Pas un bruit... C’est bon signe. Discrètement, je passe une tête dans la chambre de mon fils. L’obscurité a pris possession du lieu m’empêchant d’y voir distinctement... Je ne suis pas très sûr mais je crois que l’endroit est déserté. Par-Fait !

Pour éclairer les deux chambres restées ouverte comme chaque nuit, j’allume le couloir qui les dessert. Noé est absent, c’est sûr. Je m’approche de la tannière des petits. Comme je le pensais, la petite Elia s’est enfuie également. Ça fait chaud au cœur ! J’avance dans la pièce pour vérifier si Corto...

Wouhaou ! J’ai une chance inouïe ce soir, Corto s’est fait la malle aussi mais pas comme à son habitude : il n’a pas dissimulé son corps sous les draps mais l’a laissé aux yeux de tous avant de rejoindre les affres du sommeil ! Je vais en profiter un peu.

Ce n’est pas normal, je sais, mais j’adore regarder les autres dormir. C’est beau. Que dis-je, c’est magnifique. Surtout pour tout ce que ça représente. Surtout pour tout ce que je me raconte à ce sujet...

C’est le seul moment où tu arrêtes presque tout à part laisser entrer et sortir le souffle d’air qui te maintient en vie. Quand tu es dans les bras de Morphée, fini de marcher, manger, parler, pleurer, projeter, travailler... Fini de penser aussi. Un véritable luxe ! Oui, certains diront qu’ils cogitent en dormant, et c’est un peu vrai, je l’affirme souvent également. Mais à la vérité, c’est parce qu’ils ne dorment pas vraiment, pas profondément.

C’est étrange, sa main gauche, ouverte et sans vie, révèle apaisement et relâchement mais l’autre est crispée, bien accrochée à l’oreiller. Un peu comme si son « petit moi »,  impalpable et insondable, celui que j’assimile à l’âme sans oser la nommer ainsi, avait pris ses précautions pour quitter le lieu en laissant derrière elle l’enveloppe charnelle qu’elle habite quand vient le jour. 

Oui, voilà des années que j’y réfléchis et selon moi, dormir c’est ça... Laisser quelque liberté à l’âme pour la libérer de ce corps si difficile à habiter et lui donner ainsi la possibilité d’explorer d’autres mondes... Seule... Sans contrainte... En paix...

C’est sans doute un peu mourir. Je l’espère en tout cas... Une sorte de formation pour mieux se préparer à l’Eternité. Le sommeil est ce voyage adultère que tu fais chaque nuit, le cœur hésitant à laisser ceux que tu aimes, mais palpitant d’excitation à braver l’interdit. Une odyssée pour rejoindre la Parque, poser doucement et sans risque tes lèvres sur les siennes, revenir et... Se réveiller...

Ffffffffffffffff !... Le souffle de Corto se fait plus fort. Peut-être ai-je fait trop de bruit ? Je ne veux pas précipiter son retour, il a besoin d’apprendre. En plus, je dois encore m’assurer que Perrine n’est pas là. Je vais rejoindre mon lit... Mais avant d’aller me coucher, avant de partir clandestinement flirter avec la mort, je shoote !



Pour qui veut bien les voir
Pour qui veut bien les voir

Pour qui veut bien les voir

 

Versailles. Décembre 2018.

Je suis au cœur de la ville où nos Rois ont vécu. En cet endroit, où chaque jour les chiffres dansent, je fais quelques photos à la demande de Muriel.

 

Je me réjouis de toutes ces petites choses qui donnent vie à ce plain pied ; la petite figurine aux allures de jouet d’enfant qui traine négligemment près d’un clavier, cette affiche « Hi there hello » posée sur le buffet, ce mug décoré d’un gros chat griffoné semble-t-il par un enfant, les tasses de café qui attendent d’être lavées au fond de l’évier. Il y a ces échanges de sourires et ces petites attentions qui vont et viennent. Et ce soleil ! Ce soleil, qui pénètre la pièce jusqu’à éblouir Sandra, rappelant qu’il fait parfois partie de l’équipe quand la saison s’y prête. Il n’y a rien d’austère, au contraire. Je trouve qu’il y a comme de la sérénité mélée de chaleur humaine et de joie pudique mais bien présente. Je ressens même un peu de poésie dans ce cabinet comptable et...

 

... Et en parlant de cabinet, je crois que ma vessie réclame une fois de plus un aller-retour au-dessus de la cuvette ! Il y a des moments dans la vie où l’on se doit d’abandonner ses rêveries bucoliques pour des besoins plus impérieux.

 

Je rentre dans la pièce où règne Maître Jacob vêtu de sa robeen porcelaine. Je pose mon appareil photo par terre. Je me lance dans la cérémonie que je répète depuis que je suis en âge de tenir debout :

1. Déboutonner le jean (oui, je fais partie de ceux là)

2. Braguette

3. Sortie (parfois périlleuse...)

4. Concentration

5. Visée (souvent périlleuse...)

6. Five... Four... Three... Two... One...

7. Ignition !

8. Soulagement

9. Observation...

 

Oui, je fais aussi partie de ses dégénérés qui analysent la couleur de leur urine, sa transparence, son odeur, sa...

 

Ça alors ! Ma pisse a une odeur... De fleur ! Cooool ! Étrange aussi... Mais vraiment fun ! Je souris et pense à... Quelle déception quand je réalise que le parfum n’émane pas du résultat de ma miction !

 

Elle est là... Seule... Je ne suis pas à mon avantage avec mon sexe à la main en train de me battre contre ces sempiternelles dernières gouttes qui se refusent à rejoindre leurs acolytes au fond du puit émaillé. Et pourtant, elle joue sa belle en me dévisageant d’un regard des plus langoureux.

Coiffée d’un magnifique chapeau de soie blanche, cette rose ne semble pas outragée par le spectacle quelque peu trivial que je lui offre pour un premier rendez-vous. Elle se prend même à vouloir m’émoustiller en exagérant, considérément j’en suis sûr, sa cambrure à dessein de montrer ses courbes délicates. Je subodore les fragrances qu’elle exhale de tout son être, celles-là même que je croyais venir de mon bas ventre. Mais qu’est-ce qu’elle me trouve, cette jolie princesse, à moi pauvre hère ?...

 

Je crois savoir pourquoi je suis convoité... A défaut semble-il... En la déshabillant des yeux de la tête aux pieds, je m’aperçois que ce petit ange est certes paré de la plus somptueuse toilette qu’il m’ait été donné de voir ces derniers temps mais qu’elle est chaussée... D’un rouleau de PQ ! Aïe... Serait-ce Cendrillon au pays des pétales ? Quand minuit sonnera, la métamorphose va-t-elle se poursuivre jusqu’à changer ce joli bouton en souillon mauvaise herbe ?

Non, c’est impossible. Je la rassure en lui disant que sa naturelle lactescence rappellera à jamais que son âme est pure et que la beauté n’est visible que par le cœur. Je ne suis pas fait pour elle. Trop vieux. Trop fruste. Trop imparfait pour une si charmante demoiselle. Nous devons nous quitter là...

Je tire la chasse d’eau... Me lave les mains. Je lui arracherai bien un baiser d’adieu mais cela rendra notre séparation plus difficile encore. Je préfère prendre une photo pour de temps à autre frissonner en me souvenant. Je cadre. Elle pose, sans artifice. Je souris et pense à Matisse... Pas le traitre de Ian Fleming, l’autre, notre ami Henri. Il avait raison, « Il y a des fleurs partout pour qui veut bien les voir »... Je shoote !



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Cette n°36 qu'elle n'a jamais aimée

Prologue

Paris. Décembre 2018.

L’autre nuit les abysses du sommeil m’ont ramené 17 ans en arrière à Saint-Petersbourg. Le froid de ces derniers jours peut-être. Ou un autre 13 décembre qui vient de passer, je ne sais pas... Nous étions partis, feu la mère de mon fils et moi, en voyage de noces en Russie début avril. Une (drôle de bonne) idée de Christine.

Je me souviens très précisément de cette moitié de semaine que nous avons passée là-bas.

Je me souviens de ce délicieux moment où, transis par les glaces persistantes d’un hiver plus long que d’habitude, nous sommes entrés dans ce bar pour y trouver chaleur et réconfort.

Je me souviens encore de ce moment où j’ai fait son portrait. Le mien aussi. Le nôtre. Ce portrait que j’adore, je ne sais pourquoi. Celui qui a laissé de marbre toutes les personnes à qui je l’ai montré.

Et comme nous étions rarement d’accord et que je suis par nature quelque peu contestataire, je me souviens surtout de ce portrait parce qu’elle ne l’a jamais aimé... 

 

Cette n° 36 qu’elle n’a jamais aimée

 

Saint-Petersbourg. Avril 2001.

-18°C ! Je suis sûr qu’il fait meilleur dans le congélateur familial de ma mère. La Neva est gelée. La mer Baltique dans laquelle elle se jette l’est aussi par endroit ! Je suis équipé du manteau le plus chaud (et le plus cher) de la Terre. Je pense qu’Edmund Hillary et Tensing Norgay étaient moins couverts que moi lorsqu’ils sont arrivés sur le toît du Monde. Mais bordel, JE ME LES PÈLE !!!

 

« Et si on faisait une halte dans ce petit bar ? ». Christine me regarde amusée :

« - T’as froid ?

- Non, ça va. Mais je vais devoir changer ma pelloche et je préfèrerais le faire au sec...

- Mais bien sûr... Entrons ! »

 

Mmmmmh. Chaque fois que je rentre dans un de leurs troquets, ce n’est que du bonheur. La forte odeur du choux trop cuit régale mes papilles ofaltives et vient se mêler aux effluves d’eaux de vie céréalières et celles, plus acres et plus étranges par cette absence de chaleur, de transpiration. Je dois être stupide car, paradoxalement, j’adore ça ! C’est peut-être parce que chaque fois que je me trouve dans cette situation depuis le début de notre séjour, je sens mes os qui se réchauffent très lentement, laissant le plaisir monter telle l’érection incontrôlable d’un jeune adolescent en mal d’amour... J’ai probablement développé quelque conditionnement pavlovien !

 

« - Tu te rappelles comment on dit « café » ? Me demande Christine

- Heu... Merde j’ai oublié ! Je vais être obligé de prendre...

- Ne me dis pas que tu vas encore demander une vodka !!!

- Mais chérie, c’est le seul mot que je connaisse ici et c’est ce qu’il y a de moins cher ! Tu devrais faire pareil, j’ai lu les conclusions d’une étude scientifique récente disant que la consommation d’alcools blancs diminue les récidives de cancer !

- T’es con ! Et tu sais que je déteste quand tu plaisantes avec Ça. »

 

Ça... Ça a changé notre vie il y a un peu plus d’un an... Et Ça continue de nous pourrir l’existence... Chaque jour... Chaque nuit... Ça reste le cauchemar gluant dont tu n’arrives pas à te défaire. Collé à ta peau... Sous ta peau...

 

Silence...

 

Ne sachant comment m’excuser, je finis le deuxième shot que je viens de commander. « Tu ne devais pas changer de pellicule ? ». Je sors de mes pensées et saute sur l’occasion pour ne pas complètement gâcher ce moment :

« - Oui, tu as raison mais il me reste 2 images à faire. Je vais te tirer le portrait.

- C’est hors de question ! Tu... »

 

Clic ! « Plus qu’une seule vue. Tu sais, on n’a pas de photo de nous ici. Je vais en faire une grâce au miroir qu’il y a derrière. Si tu veux être à ton avantage, tais-toi et pose car rien ne m’empêchera d’appuyer sur le déclencheur. »

 

Silence de nouveau...

 

Puis, pour se recoiffer, Christine se passe délicatement la main dans les cheveux. Ses cheveux si précieux qui l’ont quittée un temps pour naître à nouveau il y a peu... Elle se met ensuite face à moi et tente un sourire... Pour finalement tourner ses épaules et prendre l’air de quelqu’un qui se veut confiant. Je sais qu’elle a changé de posture pour que personne ne devine l’absence de son sein gauche qu’on lui a amputé pour qu’elle puisse vivre... ou survivre devrais-je dire... C’est étrange mais je trouve qu’elle a ce petit quelque chose de Mona Lisa à cet instant. Je lève la tête pour ne plus me cacher derrière mon viseur. Après un échange de regards sans fin, je décide de finaliser, je ne le sais pas encore, le dernier portrait que j’ai fait de nous deux. Je décide de terminer ma 400 ASA pour réaliser, je ne le sais pas non plus, cette n°36 qu’elle n’a jamais aimée... Je shoote !



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Gorgonéion

Gorgonéion

 

Barcelone. Mai 2018.

Perdu dans le quartier gothique de la capitale catalane, j’ai la tête qui tourne, saoul des plaisirs barcelonais dont je m’enivre sans pouvoir m’arrêter.

 

J’ai encore sur le palais l’amertume mêlée de petites notes de caramel de cette Cap d’Ona ambrée sirotée à la terrasse d’un café. Ça tourne...

 

Je revois dans mon viseur cette fille qui gambille, lascive et provoquante, sur une mélodie silencieuse qui ne doit résonner que dans son subconscient. Et ça tourne toujours.

 

Je fais demi-jour et me trouve nez à nez avec ce vieil homme, assis là, immobile. La tête baissée, les yeux fermés et les bras croisés, il ne dort pas. Il est ailleurs et je me sens happé dans ce voyage qui n’est pas le mien. Ça tourne encore...

 

Plus loin, devant la vitrine d’un barbier qui se veut aussi salon de coiffure, Perrine me fait face et, sur la pointe des pieds, pose ses lèvres sur les miennes. Petit jeu d’amoureux... Ça tourne plus que jamais !

 

🎶🎶 « ... des bagues à chaque doigt, des tas de bracelets autour des poignets » 🎵🎶 Jeanne chantonne et vibre en moi... Mais la voilà qui apparaît... Je reste coi... Ce ne sont ni ses yeux d’opale, ni son visage pâle qui me pétrifient ainsi mais sa chevelure à la fois sublime et terrifiante. Ses boucles dansantes m’émeuvent plus que jamais mais je ne peux m’empêcher d’y voir... Des serpents par centaines ! Je suis face à la Méduse, ça ne tourne plus rond...

 

Ne pas la regarder dans les yeux, ce serait fatal... Je ne suis pas Persée, je me cache derrière mon boîtier. Elle s’approche. Vive. Déterminée. Mais je n’ai pas peur. Un souffle, une fraction de seconde où elle tourne la tête... Et j’en profite pour faire de cette menace un vague souvenir de mon séjour barcelonais : décapitation photographique, je fais de Méduse un Gorgonéion inoffensif qui ornera mes albums... Pour ainsi repartir dans l‘tourbillon de la vie ! Je shoote !



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Existence ithyphallique

Existence ithyphallique

 

Bruxelles. Avril 2018.

« J’existe ». Cette petite affiche que je vois fleurir partout dans la capitale belge m’interpelle…

 

Ce n’est pas le mouvement politique derrière ce slogan qui me pose question mais juste ces deux mots. Ils sont grammaticalement épurés mais d’une efficacité que je trouve redoutable à ce tournant de ma vie. 

 

Voilà des mois que je travaille sur ce que je suis, que je tente de me reconnecter avec mon « vrai moi ». Et depuis quelques jours, ce duo « sujet-verbe » martèle mon cerveau à chaque coin de rue, chaque bout de mur, chaque lampadaire. Il y en a partout, partout, partout ! « J’existe » par-ci, « j’existe » par-là, « j’existe », « j’existe », « j’existe », « j’exi… ». Un message à me faire passer ?

 

Ce que je trouve extraordinaire dans « exister », c’est l’essence même de l’existencede toute chose, de tout Être… Car ni mathématiquement, ni de manière cartésienne tu ne peux expliquer que tel objet ou telle personne existe!

 

Et moi, comme un con, je cherche depuis des lustres une manière de me prouver que… J’existe! Et j’ai oublié, jusqu’à aujourd’hui, qu’il faut juste y croire et tout simplement… Le dire ! Oui, il m’est sorti de l'esprit que l’existencene se déduit pas mais… Se constate ! C’est un truc de dingue, non ? Le simple fait de dire qu’un truc existefait qu’il... Existe! C’est d’une simplicité machiavélique !!! Mais je m’égare… Ou pas d’ailleurs…

 

Toujours est-il que c’est devant LA phrase posée sur CE bloc que je décide d’immortaliser ce qui semble faire maxime dans la ville. Pourquoi celui là ? Mon esprit déplacé sans doute, qui voit dans cette forme longue et droite, un priape érigé au beau milieu d’une foule qui ne fait guère attention au symbole masculin évident qui s’offre à elle. C’est probablement un homme en quête de sa virilité qu’il croit perdue qui l'a collée ici… Ou une femme, allez savoir… Mais je suis convaincu que le hasard n’est en aucun cas responsable de tout cela. Convaincu que quelqu’un a trouvé nécessaire de dévoiler à tous son désir d’existenceithyphallique ; j’affirme de mon côté que j'existeet c’est aussi pour cette raison que… Je shoote !



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La différence

La différence

 

Paris. Juin 2018.

Il fait chaud. Le public s’installe sagement. Sans bruit. La salle parait immense à côté des bouts de choux qui s’apprêtent, l’un après l’autre, à exécuter la prestation musicale travaillée tout au long de l’année. La différence, c’est qu’aujourd’hui ils ne seront plus seuls devant leur partition pour ajuster leurs erreurs, mais soumis aux oreilles attentives de la cinquantaine de parents, venus pour le spectacle de la première année de conservatoire.

 

Dans le grand espace vide qui sépare les gradins des fenêtres, siège un piano à queue qui attend que l’on vienne caresser le blanc et le noir de ses touches. Je remarque l’inquiétude sur les visages angéliques des gamins. Moi, en ce qui me concerne, ça va plutôt bien. Je suis serein. Bien sûr, je crains que ce soit un peu long mais je tenais à être là pour lui faire plaisir. La différence est grande. Contrairement à eux, je n’ai rien à prouver en cette fin d’après-midi.

 

Le prof, un asiatique inexpressif au possible, appelle le premier concertiste. Quand je vois approcher Nolan dans un silence monastique, je me demande comment un môme haut comme trois Granny-Smith peut faire face à cette situation où l’on sent la tension dans chaque molécule d’air. Vêtu d’un pantalonchino qu’à 46 ans personne ne pourrait m’obliger à porter et d’une chemisette blanche, il avance d’un pas hésitant. Je baisse les yeux et suis heureux de constater que sa mère ne l’a pas forcé, en plus, à compléter sa tenue par des mocassins à pompon. La différence c’est que, même à 8 ans, tu peux difficilement expliquer à tes potes pourquoi tu portes ces vilaines chaussures d'apaches à la mode dans les années 80. Et je sais de quoi je parle !

 

« Qu’est-ce que tu vas nous jouer, Nolan ? ». Rouge comme une pivoine, le garçon répond le regard figé sur ses pieds :

« - Gavotte, de Telemann

- Très bien, si tu es bien installé, tu peux commencer » 

Je souris. Bientôt il va lui demander où sont son papa et sa maman. Cette fin de journée prend des allures d’Ecole des fans ! La différence, c’est qu’ici, Jacques Martin est vietnamien.

 

Je ne sais dire si c'est juste ou faux. Je n’y connais rien et, je dois l’avouer, je ne l’écoute pas réellement. Ce n’est ni contre Nolan, ni contre Telemann. Je suis ailleurs, c’est tout. L’excitation d’être là m’est déjà passée. La différence depuis mon arrivée c’est que je m’emmerde, je crois…

Les mômes défilent. Tous habillés dans un style similaire, tous avec la peur comme compagne du moment, tous avec l’envie que ça se termine rapidement. Et c’est alors qu’on se décide enfin à l’appeler ! Je sors de ma torpeur. Elle se lève. C’est certain, elle flippe aussi mais elle avance, déterminée. Les volants de son petit haut à manches courtes dansent avec légèreté comme les ailes d’un oiseau qui fend l’air. La différence c’est qu’elle a la classe d’une chieuse de son âge.

 

Elle s’installe. Les yeux plongés dans les siens, elle annonce son morceau à haute voix. Avant de commencer, je l’interpelle d’un « Pssssst, Elia ! ». Elle me regarde avec le dédain dont elle peut faire preuve. Elle pose une main sur le clavier... Puis l’autre...  Je remarque seulement à ce moment-là qu’elle est couverte de tatouages sur le bras. Et ça m’amuse ! Ils sont tellement représentatifs de l’insolence et de l’esprit contestataire qui la caractérise chaque jour un peu plus. Cette fois, je suis toute ouïe. La différence ? Je l’aime ma petite pianiste punk et, bien-sûr… Je shoote !



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Ça ne devrait pas

Ça ne devrait pas

 

Barcelone. Mai 2018.

C’est beau !

 

Dans le métro barcelonais, cette femme nourrit son enfant le plus simplement du monde. Elle a levé son tee-shirt pour lui offrir son sein. Point.

 

Pas de soutien-gorge spécial, pas de lange ou je ne sais quel morceau de tissu pour se cacher de cet acte qui fait encore débat aujourd’hui dès lors qu’il a lieu en public.

 

Et oui, il y a aussi des opposants à… La tétée ! Nous vivons une époque formidable… On voit des nanas à poil sur nombre d’affiches vantant les vertus d’une crème pour les mains ou d’un yaourt au nom scientifique et compliqué ; nos gamins ont un accès facile et sans contrainte à des sites gratuits de vidéo porno depuis leur smartphone ; d’autres meurent de faim au sens littéral du terme et ce, devant l’indifférence quasi générale... Mais certains d’entre nous trouvent qu’une mère qui sustente son gosse quand le besoin s'en fait ressentir ne fait pas partie des règles de bienséance de notre société civilisée. Je rêve ! Mais je m’égare aussi...

 

Et même perdu dans mes pensées, je trouve que c’est beau ! Je sors mon boîtier.

Je vois les regards des personnes dans la rame. Parfois discrets et attendris, parfois inquisiteurs. Je sens le malaise monter. Comme si ce qui s’offre à nous est honteux et déplacé.

   

Je m’en fous, je ferai ma photo, c’est trop beau...

Mais ce n’est pas évident. Dès que je mets l’oeil dans le viseur, je me sens curieusement observé. Pas par la maman qui se moque royalement de se qui se passe autour d’elle mais… Par les autres ! Ils doivent me trouver tout aussi dérangé que cette dame…

 

Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment avons nous oublié que la poitrine n’a pas vocation première à être sexualisée mais à subvenir aux besoins alimentaires des petits ? Comment peut-on débattre, au 21ème siècle, du caractère séant ou non d’un geste aussi naturel que celui d'uriner ?

 

C’est vraiment très beau. Je suis certainement influencé, je vois si peu de femmes allaiter. C’est magnifique de rareté. C’est pourtant, dans le règne animal, d’une banalité affligeante. À bien y réfléchir, c’est beau, mais ça ne devrait pas ! Je shoote !



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Les grains

Les grains

 

Saintes Maries de la Mer. Juillet 2018.

Il y a deux manières imparables de reconnaitre une femme quel que soit son âge : aucun homme n’est capable de la comprendre et… Elle enlève ses chaussures dès lors qu’elle voit un bout de plage !

 

Après un dîner fort sympathique dans un resto des Saintes Maries de la Mer avec quelques amis, nous regagnons les bagnoles. Arrivés sur le parking en bord de mer, le bruit des vagues nous donne envie d’une balade digestive et nocturne. Et bien-sûr, les filles qui nous accompagnent s’empressent d’ôter leurs chaussures ! Pourquoi ? Je n’en sais rien, je cherche depuis 46 ans, en vain !

 

Je repense aux années passées durant lesquelles j’ai évidemment posé la question à certaines d’entre elles… Les réponses, très hétérogènes, ne m’ont jamais complètement satisfait.

 

« J’adoooooore cette délicieuse sensation du sable sous mes pieds ! »… C’est ça oui ! En plein cagnard avec 50°C à l’ombre, le délice évoqué est plutôt de l’ordre du supplice du bûcher tant les minuscules morceaux de quartz montent en température ! Un avant goût de l’enfer !

 

« Réfléchis un peu : une fois que tu en as dans tes baskets, tu ne peux plus t’en débarrasser ! Tu as beau secouer tes sandales, ça reste. Tu en ramènes à la maison, dans la voiture. Il y en a partout ! Et c’est sale !!! ». C’est vrai… Ce n’est pas comme si le sable qui vient se coller à jamais (oui, À JAMAIS !) sur des petons humides de transpiration n’était pas le foyer permanent de milliers de bactéries… Et c’est bien connu, les quidams aux orteils puants d’une mycose tenace et contagieuse ne se permettraient pas de fouler l’arène ouverte à tous… L’être humain ne plaisante pas avec la santé publique…

 

Je ne pige pas… Et puis, je le reconnais, je suis comme Anakin Skywalker, « Je n’aime pas le sable. Il est grossier, agressif, irritant et s’insinue partout ! ».

 

Mais je m’égare… Et si je ne prends pas cette photo rapidement, le marchand de vous savez quoi va passer et il sera trop tard pour revenir en arrière. Je cad… Mais où sont-elles passées ? Suis-je bête, elles sont dans l’eau, juste pour se tremper les chevilles et les mollets afin… D'être sûres que ce p…… de bordel de s…. de m…… reste bien accroché à la peau !

 

‘ comprends pas… Mais en voilà une qui revient par ici. J’arrête de penser à tout ça. Construire cette image sur des cogitations revient à bâtir sur du… STOP !!!

 

Je la laisse passer devant moi. Elle porte ses talons dans la main. A sa manière de se déplacer, elle me semble heureuse. Après tout, l’explication est peut-être là. Le bonheur du vent dans les cheveux, de l’odeur du bord de mer. Celui d’entendre les clapotis de la houle. Et d’avoir la chance de n’être rien dans l’immensité de l’univers mais bien là pour vivre chaque instant… Une poussière dans notre monde, un grain de sable parmi d’autres, certes, mais qui peut se payer le luxe de quelqu’insignifiants grains... de folie ! Je shoote !



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Mais pas queue...

Mais pas queue…

 

Bruxelles. Avril 2018.

Dégustant une pinte au pays de la bière, l’envie de m’adonner à l’un de mes jeux favoris me prend : regarder ce qu’il se passe sous la table.

C’est un endroit où l’anodin devient extraordinaire, le déjà vu nous apparait exceptionnel, où la laideur devient beauté, métamorphosant Quasimodo en Vicomte de Valmont, Vulcain en Apollon, Sim en Brad Pitt et… Bon vous avez compris l’idée…

Tout y est magnifié, tout peut arriver. C’est là que les pieds de l’élégant se font caresser par ceux de l’épouse de son pote, ici même que les doigts de l’amant se posent sur la cuisse chaude d’excitation de sa maitresse au nez et à la barbe de son père assis tout proche. Les filles en jupe y décroisent les jambes se sachant à l'abri des regards indiscrets. Les maris, quant à eux, y envoient quelques sms frauduleusement infidèles.

Pourquoi ? Parce que sous la table est une alcôve secrète si proche mais pourtant inaccessible pour la plupart d’entre nous. Un lieu sûr où ledéfendu se manifeste sans retenue aucune. Et pour cause : placé à quelques centimètres en-dessous de nos verres, les plus courageux n’osent s’y aventurer… Par pudeur, par éducation, par respect, que sais-je ? Et peut-être même par peur… De l’inconnu j’imagine…

Mais je ne suis ni pudique, ni éduqué. L’inconnu ne me fait pas peur et ma notion du respect m’est, semble-t-il, très personnelle…

Alors évidemment, entre deux gorgées de malt délicieusement brassé, je jette un oeil en terre interdite… Et, comme souvent, la magie des situations faites de rien s’offre à moi. Mon ami, dont je ne dévoilerai l’identité, passe sa main… Devinez où ? Sous la table ! Il la pose avec délicatesse et, d’une certaine manière, avec sensualité, sur son sexe… Le geste, fait dans un ralenti superbement maitrisé est parfait. Parfait et… Sublime !

Bien-sûr, les plus prudes me reprocheront une interprétation hâtive de ce qui se passe sous mes yeux et me diront que cet homme a simplement mis son bras sur son jean. Okay, chacun se raconte l’histoire qu’il veut… Et c’est pourquoi, je me dis que, paradoxalement

sans honte, il se retrouve la queue entre les jambes… Mais pas « queue »… Ça m’amuse, c’est beau, je shoote !



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Le Coeur supplicié

Le Coeur supplicié

 

Bruxelles. Avril 2018.

Je suis dans le métro bruxellois, dernière rame. Toute mon attention se porte sur cet homme au regard perdu dans le vague… À l’âme, me dis-je !

Sa peau lisse, encore indemne de toutes traces laissées par la vie, et sa moustache faite de ce duvet cotonneux encore loin des poils drus et épais qu’arbore la gente masculine à la fleur de l’âge, trahissent une sortie récente de l’adolescence.

Il se dégage de son attitude une profonde tristesse qui fait naître en moi le début d’un mal être, dérangeant évidemment, mais aussi… agréable... Comme cet état de spleen qui nous est, me semble-t-il de temps à autre, nécessaire à tous pour avancer.

Quand je me décide enfin à regarder dans le viseur, la réalité de cette journée me rattrape et je me rends compte que je suis arrivé à destination. Ce n’est pas sans quelques regrets que je descends du wagon.

Un dernier coup d’oeil en arrière pour garder en tête ce visage qui suscita un passage émotionnel inattendu dans les entrailles souterraines de la capitale belge et…

Wooooh ! Le jouvenceau s’est tourné vers le quai comme pour ouvrir les frontières de ses affres mystérieuses aux gens qui quittent le train. Sans savoir pourquoi, face à ce moment magnifique, je me trouve projeté dans ce poème de Rimbaud qui, il y a quelques années, m’a tant bouleversé.

Tandis que résonne en moi « Mon triste coeur bave à la poupe… » et quelques vers paradoxalement sublimes quand on sait les lugubres meurtrissures qu’ils contiennent, je reprends mon appareil et, avant de quitter à jamais ce Coeur supplicié, je shoote !



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Peaky Lovers

Peaky Lovers

 

Agrigente. Juillet 2017.

Au beau milieu de la vallée des temples, site archéologique bien connu sur la Trinacria, je tombe sur l’une de ces déclarations aux allures d'engagement que se font les gamins en sculptant au canif leurs initiales sur les troncs d’arbres… Mais là, la promesse est ciselée sur… Un figuier de barbarie ! Humour noir ?...

 

Toujours est-il que je trouve cela amusant… Ou sarcastique plutôt… Je ne sais pas pourquoi mais je pense à cette célèbre série contant l’ascension d’un clan mafieux dans le Birmingham du début du XXème siècle. Enfin si, je sais… 

 

Ceux qui ont fait ça sont probablement jeunes, certes, mais doivent avoir l’expérience suffisante pour connaître les dangers qu’implique une relation amoureuse… Difficile à graver, impossible à saisir à pleine main, s’appréhendant avec prudence au risque de se retrouver, à terme, avec une épine dans le pied !

J’ai cependant le sentiment que nos donneurs de leçons nous rappellent que l’aventure vaut la peine d’être vécue ; qu'elle peut être cadencée au rythme des saisons, passant du chaud au froid, de la pluie au grand soleil, pour finalement toujours donner fruits et fleurs aux mille parfums et au nuancier de couleurs les plus merveilleuses. Amour intense, passion piquante.

 

Alors je ne peux m’empêcher d’approcher de l’oeuvre d’art cactoïde et, « sur Ordre des Peaky Lovers », je shoote !



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Eyes wild open

Eyes wild open

 

Bruxelles. Avril 2018.

Je suis dans le métro, me dirigeant vers le Botanique pour aller voir l'exposition Eyes Wild Open*. Et les yeux grands ouverts, je les ai depuis mon arrivée dans la capitale belge !

Entre les reflets oniriques que me renvoient les vitres du métro, les gars qui pissent dans les urinoirs publics et les autochtones  chancelant d'une nuit festive, je n'ai pas arrêté de déclencher, sans me poser de question. Cette ville, ce séjour ici chez nos voisins m'inspirent.

Je me régale d'histoires que je me suis racontées en ramenant quelques portraits d'inconnus perdus dans leurs pensées,  couverts d'un masque nostalgique côtoyant parfois les frontières de la tristesse. Tous ont le même point commun… Je ne fais pas allusion à ce regard insondable, égaré dans des contrées auxquelles je ne peux accéder. Je pense uniquement à tous ces visages habillés des mêmes... Eyes Wild Open !

 Cette femme et cet enfant me sortent de mes rêves. Dans un face à face animé d’une bonne humeur non feinte, ils discutent comme deux vieux potes qui ne se sont pas vus depuis le lycée. C’est amusant. Mais également très étrange... Pas à cause de leur différence d’âge, ni parce qu’ils sont les seuls à parler dans la rame. C’est juste qu'ils sont à contre courant de tous ceux que j’ai rencontrés jusqu’à présent : pas de mélancolie, pas de voyage imaginaire et solitaire mais surtout, surtout, les yeux fermés par leurs éclats de rire spontanés et rythmés. Ça fait si chaud au coeur que, pour ne pas en perdre une miette, je décide d’entrer dans leur monde et, devinez quoi ? With my Eyes Wild Open, l’un des deux évidemment planté dans le viseur de mon appareil photo ! Je shoote !

 

Eyes Wild Open : les yeux grands ouverts



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Ce clandestin

Ce clandestin

 

Paris. Juin 2016.

Le métro est bondé. Et ma tête saturée de pensées qui vont et viennent sans me laisser le moindre répit. L’atmosphère est pesante.

Et je le ressens d’autant plus que je suis assis sur le doublet de sièges minuscules et étriqués disposés face à face. Le sac à main de la voyageuse debout derrière moi pénètre les chairs de mon dos. En me retournant pour lui faire la remarque, les effluves de sa transpiration acre mêlées de cette odeur bestiale qui nous caractérise après le rut envahissent mes narines. Ma cuisse est collée à celle de mon voisin de gauche et mes genoux entrecroisés avec ceux du géant en face de moi. A côté de lui, un barbu au regard dur me dévisage. Je crois qu’il se sent tout aussi oppressé que moi...

J’ai besoin de fuir. Besoin de faire disparaitre cette foule. En regardant par la vitre, je ressens quelque soulagement. La cohue étouffante s'éloigne pour laisser place aux silhouettes presque translucides des usagers si envahissants l’instant d’avant. Je mets mon oeil dans le viseur, sans réfléchir, comme pour m’isoler dans ce petit bout de terre onirique, dans ce rêve fugace et salvateur…

L’homme au regard dur s’interroge en me voyant pointer l’appareil photo vers l’extérieur de la rame. Il tourne les yeux vers ce monde parallèle qui s’offre à nous. L’espace d’un instant, je me demande s’il voit la même chose que moi. J’espère que non, je veux m’évader seul. Le train va de plus en plus vite… Au point que nous traversons les frontières irréelles qui nous séparent de cette contrée imaginaire aux allures d’infini et de liberté.

Je dis « nous » car mon barbu est toujours là. Il ne s’efface pas. Profitant de mon imagination fantasmagorique, il s’est invité au périple sans autorisation. Tant pis, le voyage n’est plus mien, il devient nôtre. Et sans nous poser plus de questions, nous partons loin, très loin, ce clandestin et moi… Je shoote !



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Faire mijoter...

Faire mijoter...

 

Catane. Juillet 2017.

Tiens donc… J’ai rêvé, non ? Demi tour, direction cette vitrine dans laquelle j’ai cru voir… Oui, c'est bien ça. « La cucina dell’amore »* ! Il y en a un qui pense avoir trouvé la recette. Et ça m’intéresse !

Il faut dire que dans ce domaine-là, je ne suis pas des plus doués… Mes expériences passées n’ont pas été très concluantes. À vrai dire, encore aujourd’hui, je ne sais pas comment elle fait pour me supporter…

Je suis sûr de l’aimer. Oui, je l’aime. Il m’arrive même de le lui dire. Mais le problème n’est pas là… C'est plus dans ma manière d’exprimer cet amour au quotidien où je suis on ne peut plus perfectible… Râleur, boudeur, chieur et j’en passe. A toujours vouloir refaire le monde, j’en oublie le plus important.

Mais j’ai fait d’énormes progrès ! Il y a quelques années, en passant devant un bouquin qui s’appelle « La cuisine de l’amour », j’aurais tout de suite pensé à un recueil de positions érotiques à tester sur le lave-vaisselle, dans le réfrigérateur et sur la cuisinière (ou avec la cuisinière d'ailleurs…). Et puis, j’ai plein de qualités. Je plie très bien les culottes, je suis capable d’avaler un Flamby d’un seul coup sans cuillère et je fais la meilleure Piña Colada du monde… Bref, ce bouquin m’attire…

Mais il est un peu cher… Et puis je n’en ai jamais entendu parlé. C’est peut-être une arnaque. Je vais déjà prendre une photo et je chercherai plus tard quelques infos sur le net. Si seulement je pouvais être aidé...

Commençons par un cadrage aux petits oignons… Quelques lignes directrices histoire de ne pas nous égarer dans tout ce fouillis. Un peu de noir, une pincée de blanc et quelques nuances de gris (une cinquantaine à vue de nez). Je vais mettre les bâtiments en toile de fond pour stabiliser le cliché. Je vois un peu de mon reflet mais pas trop. C’est parfait, je suggère ma présence sans m’imposer complètement. Et évidemment, je place l’amour au centre de tout ça. Enfin, pas tout à fait. Il faut laisser un peu de place au reste, afin que tout ce petit monde respire. Finalement, pour que ça prenne, tout est affaire de compromis. Voilà, je sh…

Non non non ! Pas encore ! Le petit nuage qui passe couvre cet ingrédient merveilleux et nécessaire au photographe. celui sans lequel plus rien n’a de goût, ni la vie, ni le reste : la lumière ! Laissons mitonner. J’attends… Encore… C’est long mais je n’ai pas le choix pour réussir. Oui, la patience est tout aussi importante que les compromis pour y arriver ! Et me voilà récompensé ! C'est prêt ! Je finirai certainement ignorant pour tout ce qui a trait à l’amour mais pour faire mijoter une image, je suis un vrai chef … Je shoote ! 

 

* La cuisine de l’amour



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De l’Amour par dessus la tête

De l’Amour par dessus la tête

 

Paris. Décembre 2016.

Il y a du monde sur la ligne 4. Quand nous entrons dans le wagon, impossible de rester ensemble. La foule, toujours souveraine dans ces moments-là, nous sépare malgré nous. Enfin presque…

La marée humaine n’a pas eu raison de Claude et Denis. Il sont restés collés comme si nulle force n’était capable de les éloigner l’un de l’autre. Je suis à quelques mètres d’eux. Je les observe depuis notre arrivée tumultueuse dans la rame. À dire vrai, je les observe depuis que j’ai fait leur rencontre il y a quelques années…

J'ai toujours été impressionné par l’amour indéfectible qui peut unir deux êtres. Pas l’amour factice mu par les intérêts communs d’une vie devenue trop avide. Pas son faux semblant qui ne survit qu’à travers les diktats de notre éducation interdisant toute séparation ou droit à l’erreur. Non, je suis fasciné par celui avec un grand « A ». L’inexplicable, l’immatériel, l’inconcevable, l’immortel…

Ces regards imperceptibles qui se croisent… Ces gestes, à peine décelables pour nous autres, qui ne sont qu’effleurements et où se polarise la passion toujours présente des premiers jours. Et puis il y a ces affrontements où le dialogue et la recherche de compromis font place au verbe haut pour finalement donner lieu aux regrets d’avoir touché l’être aimé.

Et je crois que c'est le cas de mes deux amoureux en ce moment-même. Claude et Denis échangent quelques paroles que je n’entends pas mais qui me semblent être plus du ressort de l’engueulade que de la parade nuptiale. Ça m’amuse, je mets l’oeil dans le viseur.

Non, je ne suis pas de ces fous furieux qui se complaisent dans les situations conflictuelles ! Mais d’une, la parade se serait terminée comme il se doit… Et ce soir, c'est chez moi qu’ils dorment les deux tourtereaux ! Et de deux, le risque d’une demande de divorce est inexistant, alors autant profiter de cette scène de Vie ! Car là où est l’Amour, est la Vie. Et Claude ne peut me contredire, même si elle en a par dessus la tête ! Je shoote !



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Impression cubiste

Impression cubiste

 

Paris. Mai 2017.

Magnifique journée à Paname. Je suis dans le 68, serré avec d’autres sardines qui prennent le bus.

Je rêve un peu, mes sens ballotés par des émotions quelque peu hétéroclites. Le soleil me réchauffe tendrement la nuque, comme une caresse pour me faire oublier le bulldozer qui vient s’écraser sur moi à chaque coup de frein. Le brouhaha infernal de la foule couvre le rire de ces deux enfants derrière moi. Alors que je suis dans la pénombre, je vois la jolie lumière dehors qui m’appelle, mais qui, à chaque regard que je lance à l’extérieur, m’éblouit à me transpercer les pupilles. Je ne sais pas si c'est un conte de fée ou un cauchemar… Et puis…

Il y a cette odeur… Pas celle de cette mélasse de transpirations acres qui essaie de pénétrer mes narines pour y rester à jamais. Non, c’est tout autre chose… Autre chose de moins agressif… Maman… Quelqu’un porte Opium de Yves Saint Laurent, le parfum qui accompagne encore aujourd'hui ma mère ! Houlala ! Je pars… Je pars loin…

Je revois ma première chambre au papier peint bleu à fleurs. Mon parrain s’en était servi de motif pour me faire un tableau surréaliste. Mon parrain qui me manque, mon parrain le frère de mon père. Oui, mon père…

Artisan talentueux aux doigts d’artiste, passionné par la peinture et par toute forme de création. Par le jeu aussi… Mon père ouvert à tout et si fermé à la maison. Mon père qui m’emmenait au Louvre régulièrement entre deux livraisons le vendredi. Nous restions devant Mona Lisa et les autres sans mot dire, sans échanger une seule parole… Mon père…

Il faut que je sorte de ma tête, ça va trop loin… Je prends mon appareil photo. Ce n'est pas gagné pour faire une image avec tout ce monde autour de moi mais ce sera salvateur. L’oeil dans le viseur, je regarde ce qui s’offre à moi. Je vois des mains. Des bras aussi. Un reflet. Et derrière ce reflet, une ombre que je vois comme l’un des portraits peints par Arcimboldo… Au Louvre !

Je sens à nouveau le parfum de Maman, revois le papier peint de ma chambre, mon parrain, mon père… Une espèce de patchwork d’une partie de mon enfance, un tableau en 2D où les éléments semblent posés au hasard sur la toile mais qui, en réalité, sont liés les uns aux autres. Tendresse et violence des souvenirs… Il faut vraiment me sortir de là… Me sortir de ce Guernica né de mon esprit torturé, si j’osais, de ce Guernimoi… Je shoote !



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The Godfather - Last opus

The Godfather - Last opus

 

Zafferana Etnea. Juillet 2017.

Putain, c’est pas possible ! C'est juste un truc de dingue ! C'est le scoop de l'été qu'il faut photographier : Vito Andolini nativo di Corleone n'est pas mort !!! Mais pour bien comprendre, il faut que je rembobine la cassette(1)

 

Zafferana Etnea. Juillet 2017. Quelques minutes plus tôt.

Matinée ensoleillée au pied de l'Etna. Assis à la terrasse d'une "tavola calda", je regarde ma petite famille déguster les quelques spécialités culinaires qui serviront de petit déjeuner. Granites, pizzettes, canolles et autres arancini sont au menu. Pour ma part, je compte beaucoup sur l'expresso posé devant moi pour me sortir de ma torpeur. Nous nous sommes levés aux aurores et avons pris la route de bonne heure. Très fatigué, j'ai la sensation d'être loin, très loin. J'avale une gorgée de caféine quand soudain…

 

Putain, c'est pas possible ! C'est juste un truc de… Ha oui, ça je l'ai déjà dit, pardon…

 

Ce n'est ni sa petite moustache discrète, ni ses cheveux qui peinent à recouvrir son crâne dégarni qui l'ont trahi. C'est sa voix cassée, à la fois calme et autoritaire, qui chante sur un rythme lent et régulier accompagnant les gestes précis qui dansent autour de lui pour étayer ses propos. Don Corleone est là, assis sur un banc à quelques mètres de moi ! Ce n'est pas le moment de rêver.

 

J'approche tooouuut doucement la main de mon appareil photo… Je n'ai pas envie de me faire repérer, ce serait beaucoup trop dangereux, peut-être fatal même...  Je cadre… Il jette un regard à peine perceptible vers moi et… "Houhou ! Hey !!! Mais tu vas répondre ou quoi ?!!! »…

 

Oui, c'est là que tout a basculé…

 

Je n'ai pas compris tout de suite qu'un des mômes s'adressait à moi. Au moment où je le réalise, je réponds quelque peu agacé :

- Mais tu vas te taire oui ! Tu veux tout gâcher ? Tu ne vois pas qui se trouve juste à côté de nous ? Alors laisse moi faire mon boulot !

- Laisse le vieux monsieur tranquille ! Il ne t'a rien fait ! me crie Elia, 7 ans.

- Ça n'a rien de personnel, Elia, c'est uniquement les affaires.

 

… Pas de réponse… Elle reste sans voix… Et pour cause : son regard terrifié, figé au-dessus de mon épaule, me fait comprendre que j’ai été démasqué. Je me tourne lentement. Le Parrain est derrière moi, debout, tout proche… Ses yeux me pénètrent tels une vendetta(2)transperçant le coeur d’un ennemi. Un colosse au visage inexpressif, l’accompagne. D’éternelles secondes se passent avant que Vito ne daigne ouvrir la bouche :

- Que se passe-t-il ? Pourquoi les petits font-ils tant de raffut ?

 

Je reste assis pour lui montrer que je n’ai pas peur de lui. Je remue mon café sans sucre avec ma petite cuillère (oui je sais c’est stupide mais on fait beaucoup ça dans le sud de l’Italie. Et comme j’adore les trucs idiots…). Je prends quelques instants avant de rétorquer calmement :

- J'ai toujours été trop faible avec mes enfants. Je les ai gâtés comme vous voyez. Ils parlent quand il faut écouter.

- Mmmmh… Et bien sûr, vous allez pouvoir m’expliquer pourquoi vous pointiez votre objectif dans ma direction…

 

Je dois bien reconnaitre que je me sens piégé… Et un peu con aussi… Mais je ne me démonte pas et continue notre petite conversation en répondant :

- Je vais être honnête avec vous. Tout le monde vous croit mort mais moi, je vous ai reconnu, Don Corleone. Je voulais simplement prendre une photo.

- Vous faites erreur sur la personne, Monsieur, et…

 

Là, il commence à m’énerver ça ne lui ressemble pas de nier l’évidence ! Je préfère l’interrompre.

Ne me raconte plus que tu es innocent parce que c'est une insulte à mon intelligence et ça me rend de mauvaise humeur.

- Monsieur, ne m’obligez pas à revenir avec Luca, ce sera mieux pour tout le monde. Me menace-t-il.

 

Mais il est stupide où quoi ? Il n’a pas la télé chez lui ? Il ne va pas au ciné ? Je vois à son expression qu’il est sincère, qu’il n’est pas au courant. Je vais me faire un malin plaisir de le lui dire :

- Luca Brasi dort avec les poissons !

 

Il reste stoïque et s’adresse à son colosse : « Je vais lui faire une proposition qu’il ne pourra pas refuser ». Et instinctivement, le malabar sort un revolver qu’il pointe vers moi. Des cris d’effroi se font entendre, la tension est palpable... Et mon fils intervient :

- Papa ça suffit ! Tu nous mets dans la galère etc.(3) !

- Ugo, tu es mon fils et je t'aime beaucoup. Mais ne prend jamais partie contre la famille avec qui que ce soit. Tu entends ?… Jamais !

 

Puis, me tournant vers Vito : 

- Voici ma proposition : rien !

- Bonasera… Bonasera… Qu’est-ce que je vous ai donc fait pour que vous me parliez avec si peu de respect ?

 

Le vieux délire complètement ! Pourquoi m’appelle-t-il Bonasera ? Il est bargeot ou quoi ? Mais barge ou pas, quand j’entends le cliquetis du pistolet qui s’arme, je me dis qu’il est temps de calmer tout le monde et de faire basse figure. Je reste sur ma chaise pour lui répondre ce qui me passe par la tête :

Fabrizio, traduce per me(4) (bon ok, là c’est moi qui délire car je ne connais aucun Fabrizio…) : Pardonnez moi si je vous ai offensé, je ne suis qu’un étranger ici. Je n'ai voulu manquer de respect ni à vous ni à votre famille… Je suis français, je me cache en Sicile. Je m’appelle CarCam et il y a pas mal de gens qui payerait une fortune pour cette information. Mais dans ce cas votre fille perdrait un père… Au lieu de gagner un mari.

 

À peine ma phrase terminée, Perrine, mon amoureuse, bondit de sa chaise et m’en colle une devant tout le monde ! Et ça fait beaucoup rire Don Corleone qui me rappelle amicalement : « En Sicile, les femmes sont plus dangereuses que les lupara(5) ». Puis, après avoir mis une tape sur l’épaule à son homme de main, il lui ordonne : « Leave the gun , take the canollis(6) ».

 

Je ne sais pas si c’est de l’avoir entendu parler anglais qui m’a sorti de mon rêve ou si c’est tout simplement la baffe honteuse qui m’a démonté la tête. Mais je suis toujours là, derrière mon viseur, à attendre le bon moment. Car j’ai bien l’intention de prendre cette photo, je sais que c’est possible :

S'il est une chose certaine sur terre, s'il est une chose que l'histoire nous a apprise, c'est qu'on peut t... heu, pardon, photographier n'importe qui… Je shoote !

 

(1) : Pour les plus jeunes, une cassette est un support vidéo utilisé dans des machines appelées magnétoscope qui… Non laissez tomber, ce n’est pas important pour la suite...

(2) : une vendetta est un couteau traditionnel italien souvent utilisé lors des vengeances entre familles et autres clans mafieux 

(3) : Ne me demandez pas pourquoi mais mon fils met des « etc. » partout. « Je suis aller au ciné etc. et c’était grave bien », « Laisse moi t’expliquer etc., tu vas vite comprendre », « Bonjour etc., tu vas bien etc. ? ». Bon je vais arrêter là etc.,  vous avez compris l’idée.

(4) : Fabrizio, traduis pour moi

(5) : La lupara est un un fusil de chasse à deux canons lisses juxtaposés qui ont été sciés pour en faciliter l'utilisation dans la végétation et pour être dissimulé sous un manteau en milieu urbain. C'est une des armes à feu les plus anciennes utilisées en Sicile. Généralement, le fait de tuer une personne avec une lupara signifie que celle-ci avait trahi sa famille. Le nom « lupara » vient de l'italien, parce que cette arme était souvent utilisée pour chasser le loup.

(6) : Laisse le flingue, prends les canolle. La traduction française dans l’opus 1 est « … prends les cannellonis » ce qui est une erreur. Dans sa version originale en anglais, il parle bien de canolle qui sont des pâtisseries traditionnelles siciliennes  



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La chance d'avoir une place assise...

La chance d’avoir une place assise…

 

Paris. Février 2017.

Il est tard et pourtant la rame de métro dans laquelle je viens d’entrer est bondée. Nombre d’entre nous sont debout.

Les uns, plus sportifs ou tout simplement las de ce fait qu’ils subissent au quotidien, acceptent la situation sans rechigner et vont s’agripper aux barres métalliques ou se caler contre une porte à la recherche d’un fragile équilibre le temps du voyage. Les autres, plus stratèges, vont tous se serrer dans le petit espace situé entre les doublés de banquettes qui se font face de part et d’autres du wagon. Ils guettent alors, envieux, le départ de ceux qui ont la chance d’avoir une place assise ! Et bien sûr, le fainéant que je suis en fait partie…

Nous approchons d’une station. Les portes s’ouvrent et un siège à côté de moi se libère. Je réagis tout de suite et gagne au petit jeu de la chaise musicale, feignant, comme tous les vainqueurs ici, de n’avoir pas vu les deux personnes qui convoitaient le même fauteuil… Je sais, on vit cette drôle d’époque du « chacun pour soi » durant laquelle nous dépensons une grande énergie à ignorer sournoisement l’autre. Mais c’est fait, je suis, moi aussi, un PRIVILÉGIÉ ! 

Je sors mon appareil photo pour pouvoir observer les mondes fermés de ceux qui, eux aussi, font comme si je n’existais pas. 

Je repère tout de suite la jeune femme près de moi. Je la trouve jolie. Elle aussi fait partie des quelques nantis au cul posé que nous sommes. J’essaie tant bien que mal de cadrer mais ça bouge beaucoup et surtout, il y a encore trop de monde ! Mes premiers déclenchements ne donnent rien. Grrrrr ! Mais je ne désespère pas…

… Car comme je le pensais, les usagers sortent en masse à cette station aux nombreuses correspondances. Et clic ! Pas mal cette image. Et clac ! Non je vais plutôt garder celle-là. Mais quand le métro repart, j’aperçois ce SDF par terre sur le quai et… Je me sens con, très con… Car je réalise que la chance d’avoir une place assise n’est finalement qu’une question de point de vue… Une petite voix me dit qu’il préfèrerait sans doute avoir le PRIVILÈGE d’être parmi nous… DEBOUT ! À la volée et je le reconnais, quelque peu contrit, je shoote !



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Les mains de Claude

Les mains de Claude

 

Ban. Juillet 2016.

C'est une belle journée d’été. Chacun vaque à ses occupations. Les enfants jouent dans le bassin, les plus grands lisent, d’autres discutent ou jouent aux boules et le patriarche du groupe fait sa sieste. Et moi, avec Claude, sa femme, je parle de la pluie et du beau temps.

Malgré sa réticence, je m’essaie à quelques clichés. Elle ne reste pas en place, se déplaçant de la table extérieure à la cuisine et de la cuisine à la terrasse. Elle fixe l’horizon depuis le balcon l’air de rien, avec cette nonchalance discrète qui la ressemble tant.

Probablement fatiguée de fuir l’objectif, elle finit par s’asseoir et nous continuons notre conversation… Mais elle râle gentiment pour me rappeler qu’elle ne veut pas que je la prenne en photo. Je m’en moque et continue. Grrrrrrr ! Elle bouge tout le temps et j’ai du mal à faire une image nette.

Comme pour nous mettre d’accord, ou peut-être pour gagner la partie, elle finit par se planquer derrière ses mains. Haaa ! Les mains de Claude ! Ces mains qui se coiffent sans cesse d’une cigarette ou d’une tasse de café fort. Ces mains qui nous racontent l’histoire d’une vie. Ces mains, rugueuses à souhait, qui nous trompent sur l’identité de sa propriétaire, cette femme aux cheveux courts qui porte un prénom d’homme, mais dont la voix douce et chantante des gens du sud nous rappelle que la féminité n’est qu’histoire de coeur. Ces mains, ses mains, celles de Claude, je décide d’en faire son plus beau portrait : je shoote !



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Je prends la main. I take the lead.

Je prends la main

English version

 

Lisbonne. Mars 2016.

Il est jaune, il est petit, il est bondé de monde, il est vieux mais… qu’est ce qu’il est beau ! Je suis dans le légendaire Tram 28 de la capitale portugaise et ce n’est que du bonheur !

Décoré de petits bancs en bois bien inconfortables, il a conservé son décor d’origine. Il traverse les plus beaux quartiers de la ville depuis les années 30, piloté par le machiniste qui ne semble pas ému par les ruelles étroites et sinueuses aux dévers parfois si impressionnants qu’on se croirait dans un manège à sensation !

Coincé entre deux touristes, j’admire ce conducteur à tout faire qui vend les tickets, qui reste vigilant pour rappeler à l’ordre les imprudents tentés de monter par l’arrière ou descendre par l’avant et qui pilote d’une main experte - et d’une seule ! - l’une des machines les plus mythiques de l'histoire des transports en commun !

J’essaie de comprendre en vain ce qu’il fait. Un coup de manette à gauche, un coup en avant, appuyant de temps à autre sur l’un des innombrables boutons posés ça et là autour de lui, sa « mimine » semble jouer sur le tableau de bord comme un enfant dans une partie de chat perché dans la cour de récré ! Et ça marche !

J’abandonne, il n’est pas utile de tout savoir : c’est bon de se laisser guider, emporter par les rêves … Il y a quand même un truc que je sais faire et qui me procure plus de plaisir encore : ramener des photos ! Je sors mon appareil. Je pose mon cadre sur l’objet de ma curiosité… La lumière est jolie, elle crée de mystérieux reflets dans la cabine de pilotage et ça me plait… Cette fois-ci, c’est moi qui commande. Alors, si j’ose dire, je prends la main et… Je shoote !

I take the lead

 

Lisbon. March 2016.

It is yellow, it is small, it is crowded with people, it's old but ... what it's beautiful! I'm in the legendary Tram 28 of the Portuguese capital and is only happiness!

Decorated with small quite uncomfortable wooden benches, it has retained its original decor. It runs through the most beautiful parts of the city since the 30s, driven by the machinist whom does not seem moved by the narrow winding streets sometimes so impressively  steep that it feels like a thrill ride!

Stuck between two tourists, I admire this driver doing everything ,selling tickets, remaining vigilant , calling the reckless passengers to order who try to get on the rear or from the front while driving expertly with one hand – and only one! - One of the most legendary in the history of transportation machines!

I'm trying unsuccessfully to understand what he’s doing. A joystick left jab, a push forward, pressing from time to time on one of the countless buttons placed here and there around him, his tiny paw seems to play on the dashboard like a child playing hopscotch in the playground! And it works!

I give up, it is not necessary to know everything: it's good to be guided, carried away by dreams ... There’s still something I can do and that gives me more pleasure : bring back photos! I get out my camera. i adjust my lens on the object of my curiosity... The light is beautiful, it creates mysterious reflections in the cockpit and I like it ... This time, I am the one in charge !. So, dare I say, I take the lead and ... I shoot!

 

Translation : KMO



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La fille du tram' 28

La fille du tram' 28

 

Lisbonne. Mars 2016.

La fille du tram' 28 est vraiment très belle !

Je la regarde sans oser m’approcher d’elle.

Par timidité ? Non ! Ce n’est pas ma nature…

Mais quand je vois la lumière, comme un murmure

Caresser son visage, je n’ose bouger

Par peur de voir ce rêve soudain s’abréger !

La fille du tram' 28 est vraiment jolie !

Comme sur un bateau, bercée par les roulis,

Elle est perdue dans un océan de pensées

Qui semblent l’emmener si loin dans son passé…

C'est trop beau, et je veux ramener cette image

Parmi tant d’autres souvenirs dans mes bagages.

La fille du tram' 28 est vraiment mignonne

Avec ses rides qui sur son minois sillonnent !

Oui, je ne l’ai pas dit, elle n’a plus 20 ans.

La beauté n’a pas d’âge et traverse les temps.

Je sais l’apprécier quand elle croise ma route.

Alors, tout ému et avec bonheur, je shoote !



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Son sourire


Son sourire

 

Quelque part sur Terre. Un jour.

Tic, tac. Tic, tac. Tic, tac. Tic... T...

 

C’est fait... Le temps s’est arrêté... Comme toutes les fois où mon regard se pose sur elle.

 

Elle se dirige vers moi. Lentement. J’ai peur... Peur que cette merveille éthérée ne soit que songe évanescent vagabondant dans les limbes de ce cerveau qui me gouverne et devient si vaporeux lorsqu’elle se révèle.

 

Je la dévisage et envisage chacun de ses mouvements comme la quintessence de la volupté. Ses hanches oscillent gracieusement d’un côté puis de l’autre tel le pendule d’une enchanteresse mue par la seule volonté de vouer mon âme à Lucifer. Ses bras dodelinent sur le même tempo languissant et régulier, tandis que ses petits seins accompagnent l’eurythmie en sautelant avec la délicatesse sensuelle de la beauté qui s’ignore.

 

Me voilà pris dans un vortex émotionnel et viscéral où se mêlent amour vertueux et passion libidinale. Un tourbillon sans fin où je lui dévoile la flamme virginale et dévorante qui me consume pendant que j’effleure de mes mains ardentes chaque parcelle de peau de son corps exultant. 

 

Elle s’approche. Elle est si près que je m’enivre de ce mélange de fragrances printanières et charnelles qui la rend si désirable.

 

Poum-poum. Poum-poum. Poum-poum. Poum-p... Poum... P...

 

C’est fait... Mon coeur s’est arrêté... Comme toutes les fois où ses lèvres se posent sur moi.

 

Elle s’assied. Me narre la joie délicate d’un souffle de vent sur son visage, celle d’un coquelicot né sur le bord de la route ou d’un nuage égaré dans l’azur.

Elle me dit libre de vivre ce que je suis vraiment.

Elle me raconte le Bonheur.

Elle me raconte la Vie.

Je l’Aime.

 

Je suis addict à sa candeur infuse, accro à ses courbes ingénues. Je ne veux pas guérir, je ne peux pas mourir car aujourd’hui encore, c’est avec son sourire que je (me) shoote !




CarCam est un artiste représenté par la

16 rue Sainte Anastase

75003 PARIS

France

Tél : +33 983232801